Bon, je rentrais dans cette pièce, adorée par certain détestée par d'autre. L'odeur des vieux bouquins remplit mes poumons, et je soupire de soulagement. J'aime lire, j'aime les livres poussièreux que beaucoup de personnes trouvent moches et sales. On était le week-end, et peu d'élèves trainaient dans la bibliothèque pour passer le temps. J'étais donc l'une des seules malades à pourir son après-midi enfermée, avec un ou deux rabougris à lunettes. Je me posais sur une chaise en bois, plutôt confortable, et je m'adossai en fermant les yeux. Candice devait être dehors avec des gens de sa clique. Elle me manquait, plus que je ne pouvais imaginer. J'avais peu de véritable amis à par elle. C'est ma confidente, mon amie, mon amour, ma raison d'être ici. Je me suis toujours demandée si l'amour que je lui portais était réciproque. Après tout, on croit connaître des personnes par coeur, et ils n'hésitent pas à vous poignarder dans le dos.

Vous voulez un exemple ? Mes parents. Non, ce n'était pas de ma faute, ma petite soeur n'était pas morte à cause de moi ! Je me massa les tempes en soufflant doucement. Si je m'énervais dans un endroit censer être calme, ça allait mal se passer. J'étais venue pour bosser, m'occuper, bouquiner, flemmarder, oublier...
Je me levai pour parcourir les rangées de bouquins. Les formes de vie extraterrestre d'un côté, la terre de l'autre, et puis enfin, les disparitions. Mon regard accrocha de suite un gros pavé qui était un roman de SF d'un auteur que je ne connaissais pas. Je me remis à ma place de tout à l'heure, étirant les muscles de mes bras langoureusement au dessus de ma tête. La documentaliste me regarda d'un air mauvais. Et puis merde, que-ce-que j'avais fait encore ?! Elle ne m'aimait pas, j'en mettrai ma main à couper. Cette harpie n'allait pas gâcher mon après midi bouquinage. Je fis - sans faire exprès - tomber le gros bouquin par terre. Un gros " BOUM " résonna dans toute la pièce.

- " Euh... Oups..."mumurai-je en me baissant pour ramasser le livre sur le sol.
Et, en plus, en me relevant, je me cognai contre la table. Un autre " BOUM " dans la pièce, la documentaliste qui se râcla la gorge d'un air mécontent. Et bah quoi ? J'ai eu mal en plus, elle aurait pu me demander au moins quelque chose de sympathique comme " rien de cassé ? " ou encore " vous avez eu mal ? ". Rien, cette vipère était certainement en train de ricaner intérieurement. Oh, on avait l'impression qu'elle était sympathique, la documentaliste. Mais dès qu'on fouillait un peu, dès qu'on grattait plus profond dans la personnalité des gens, on s'appercevait tous de suite qu'ils n'étaient pas ce qu'ils semblaient être. Vous pensez que je suis une fille assez gentille, sans histoire apparente, avec la malchance d'avoir vu sa soeur mourir ? Et si je vous avoue qu'en fait, je suis une sale petite peste qui n'hésite pas à frapper les plus jeunes, que j'adore faire souffrir mes compagnons lors des rapports sexuels et que je n'hésiterai pas à vous égorger sur place si vous touchez un cheveux de ma soeur ? Vous me prenez toujours pour une jeune femme innocente ? Je me mordis la langue pour éviter de lui foncer dessus pour lui mettre une râclée. Mes mains me démangeaient. J'avoue, je suis soupe au lait, et alors ?!
Je commençais à lire, le roman était intéressant. Un souffle derrière mon épaule, quelqu'un qui avalait péniblement sa salive. Je me retournai, me demandant si je devais sourire pour rassurer la personne derrière moi ou au contraire la faire partir. Je voulais rester tranquille, j'avais besoin de rester tranquille ! C'était si compliqué à comprendre ?

La Russie ! Ma prochaine mission, ma troisième seulement en tant que chef d’Equipe, se passera en Russie ! La directrice m’a fait la superbe surprise de me charger d’une mission sur ma terre natale, pour me « féliciter ». Je ne sais pas de quoi, d’ailleurs. Je leur en ai fait sacrément voir, ces six dernières années. Il est vrai que je me suis un peu assagi, ces derniers mois. Il le faut bien, je suis chef d’Equipe maintenant, une belle responsabilité. Au bout de cinq ans, beaucoup s’en vont, quittent la Crypte. Mais beaucoup, aussi restent parce que c’est le seul endroit où ils se sentent à leur place, et où on les a accepté, aidé, aimé. Ce fut mon cas. Je ne me vois pas vivre ailleurs.

Je ne suis pas retournée en Russie depuis… en fait, je n’y ai jamais vécu. J’y ai passé quelques vacances, avant mes dix ans, mais depuis des années je n’y ai plus mis les pieds. Ma mère est née là-bas, mais moi je suis de New York. Donc, je ne connais pas la Russie et il faut que je me documente sérieusement avant d’y aller avec mon équipe. Je parle russe, mais je n’ai pas l’occasion de pratiquer très souvent. Internet me permet de lire le russe assez souvent, mais le parler est plus difficile. Un tour à la bibliothèque s’impose. Prendre une ou deux encyclopédies, quelques bouquins, peut-être trouver des cassettes en russe. Il y a pas mal d’info là-bas, j’aime bien cet endroit. Et puis Samantha Fisher, la bibliothécaire, est très sympa si on prend le temps de la connaître. Je me souviens la première fois que je suis allée à la bibliothèque, j’ai fais tomber un livre et pour elle, c’est une marque d’irrespect. Donc elle m’a haït pendant quelques jours.

Bonjour Sam. lui lançais-je en entrant

Sauf que maintenant, Samantha m’apprécie. J’ai grandi et je suis devenue plus mature. Je sais présenter mes excuses à quelqu’un à présent, ce que je ne pouvais pas faire avant. Et je ne balance plus de livres sur mes petits camarades parce qu’ils m’embêtent. Je m’approche des rayons et commence à chercher les livres sur la Russie. A côté d’une table, je vois un stylo par terre. Il y a quelqu’un d’assit tout près alors je me baisse pour le ramasser et le tend à la fille assise avec un livre. Elle est blonde avec quelques mèches teintes en blond, ça lui va bien. Quel âge a-t-elle ? Peut-être deux ou trois ans de moins que moi. Je ne la connais pas. Elle n’est pas dans l’Unité B. alors.

Bonjour, est-ce que ce stylo est à toi ?

J’attends la réponse et je m’en vais. Je n’ai pas le temps de traîner… enfin si. J’ai le temps. Plus de cours, plus de devoirs, ma seule occupation à présent c’est de préparer ma mission suivante. Mais aussi de montrer l’exemple, je crois. C’est un comble ! Moi, montrer l’exemple ? Je leur ai bien dis que je ne savais pas faire une telle chose, mais je crois que la directrice me fait confiance pour ça. Je ne sais pas, je ne saurais pas faire. Il y a aussi un alinéa qui stipule que je dois me montrer aimable avec les autres. Aimable… plutôt irréprochable et accueillante ! C’est pas trop mon truc, je l’avoue. Pourtant, il faut bien que j’essaye. Je m’assois à la table, à côté de la fille.

Je m’appelle Alex. Et toi ? Tu es à la Crypte depuis longtemps ?

Pas de question supplémentaire. Deux, c’est déjà beaucoup. La plupart des gens ici, n’aiment pas qu’on s’occupe de leurs affaires. Que ces gens soient des élèves ou des profs, d’ailleurs. A la Crypte, j’ai appris notamment qu’il valait mieux se mêler de ses affaires, que c’était le meilleur moyen de se faire des amis ou au moins, de ne pas se faire attaquer par deux malabars dans un coin sombre.